«Mon plus gros cachet est de 800.000 FCFA»
Forman Guèye |
Il a voyagé à la Martinique en 1976 avec
Mame Gorgui Ndiaye et Doudou Ndiaye Coumba Rose pour représenter le Sénégal.
Forman Guèye a tenu en haleine tous les férus de la lutte de par ses bakk. Le lutteur du Président Abdou
Diouf revient sur son parcours entre anecdotes croustillantes, regrets,
déceptions, entre autres.
Parcours
«J’ai
débuté la lutte en 1976. Et j’ai terminé ma carrière en 2002. La limite d’âge
était alors de 50 ans, contrairement à aujourd’hui où on arrête à 45 ans.
J’habite à Diokoul (Kaw). Mais j’ai passé ma jeunesse à Saint-Louis. J’étais
pêcheur. Avec cette activité, on luttait sur la plage après la pêche. Ce qui
m’a permis de prendre goût à la lutte avec un de nos grands frères, Pape Seck,
décédé samedi 12 mars dernier. C’était un très bon lutteur. Mais il n’a pas
fait carrière dans l’arène. J’accompagnais mes grands (Pape Seck, Assane Baye
Fally de Saint-Louis) qui ont finalement arrêté quand ils ont su que je pouvais
les suppléer. Car sur le plan physique et de la force, je m’étais hissé à leur
niveau. J’ai lutté partout dans le Sénégal. Les avances sur cachet étaient de
25.000 FCFA. C’était énorme car à l’époque un sac de riz coûtait 6.000 FCFA. Actuellement,
la lutte est un métier. Le lutteur est devenu une entreprise.»
Combats
chocs
«À
Dakar, j’ai disputé des combats chocs à l’arène Sambaye Sall de Thiaroye Guedj.
À l’époque, j’avais la même aura que Balla Gaye 2 et Modou Lô présentement. Je
savais lutter et j’étais un bon animateur. J’ai disputé des combats de défis
(xass xass loo, en wolof). Je me rappelle mon combat contre Séllé Dièye que
j’ai battu. À 17h00 déjà, l’arène était pleine. À cette période, le père de
Pape Kane, Modou Kane, était encore vivant. Je me souviens que Pape Kane avait enlevé
son gris-gris pour le remettre à Séllé Dièye. J’ai aussi affronté le frère de
Moustapha Guèye, que j’ai terrassé. Il s’appelle Pape Guèye. C’était un combat
rude. Moustapha Guèye et Birahim Ndiaye étaient derrière l’enceinte. Quelqu’un
m’a dit «Forman, j’étais à l’entraînement de l’écurie Fass. Si tu restes sur
place, Pape Guèye va t’attaquer». Je lui ai dit que je suis plus rapide que lui
pour l’avoir battu lors d’un mbappat
à Yarakh. Aussi, j’ai croisé Cheikh Mbaba. Je l’ai battu. J’ai affronté Ibou
Ndaffa qui m’a terrassé.»
Reconversion
«J’apporte
ma contribution en tant que coach à l’écurie Lébougui, créée par Pape Ibra Yade
(Papa Yada). Les lutteurs de l’écurie sont comme des fils et neveux pour moi.
Amanekh est la tête de file. Tous les lutteurs doivent se ranger derrière lui. Pape
Ibra Yade a façonné Amanekh, Gamou Guèye, Do Guèye et autres. Je suis et je
serai toujours avec Ibra Yade.»
Famille
«J’ai
deux bonnes épouses. Elles savent bien cuisiner le riz (il éclate de rires).
Elles m’aiment et s’occupent très bien de moi. J’ai 17 enfants qui veillent sur
moi. Tout ce qu’ils gagnent, on se le partage. Parmi eux, je touche du bois, il
n’y a ni voleur ni buveur de bière. Je remercie le Bon Dieu. J’ai des filles
qui sont mariées. Et je prie que les autres puissent avoir des maris pour que
je voie leurs enfants.»
Joie
«Tout
ce que j’aimais de plus dans la lutte, c’était la victoire pour donner plaisir
à la population de ma localité. Je faisais le tour des mbappat et je parvenais
à battre chaque fois le meilleur. Cela fait partie de ce qui m’a procuré du
plaisir. Aussi, dans chaque localité où je me rendais, je créais ma chorégraphie.
Et les gens savaient aussitôt que Forman était là.»
Déception
Contre Boy Niang, quelqu’un a voulu me donner une
bouteille que j’ai refusée. Il l’a remise à un de mes amis. Et j’ai fini par
l’utiliser. Par la suite, je ne savais plus où j’étais. Cette bouteille avait
créé beaucoup de problèmes dans notre écurie Mermoz. Souvent, les vraies
intentions sont cachées. Nous, Lébous, ne trahisons personne. Dans l’écurie
Mermoz, il y avait plus de 40 lutteurs. Je suis le seul, avec Mor Fadam, à être
resté avec Kamal Salémé. Il faisait tout pour nous et ne voulait pas de notre
argent. Même après le combat, si le manager lui remettait de l’argent à garder
pour un lutteur, il refusait. Ce qui n’est pas facile à voir aujourd’hui. Kamal
aidait tous les lutteurs et gardait de bonnes relations avec eux. Il ne faisait
aucune différence entre les écuries. S’il n’avait pas si aidé, il aurait eu des
dizaines de milliards.»
Regrets
«Du
côté de Niagues et Gorom, on pouvait avoir beaucoup de maisons parce que les
populations voulaient nous donner des terrains pour qu’on vienne y loger.
Aujourd’hui, cette zone est habitable. Il y a de belles et grandes maisons.
Cela fait partie de mes regrets. Les gens étaient prêts à nous donner des
terrains. Aussi, je regrette d’avoir perdu très tôt mes parents, qui n’ont pas
vraiment bénéficié de ma réussite. À l’âge de 18 ans, je donnais la dépense
quotidienne à mon père. Aujourd’hui, je ne suis pas fortuné mais mes enfants
sont en train de me rendre heureux.»
Anecdotes
«Un
jeune de Thiaroye m’a dit que son père lui imposait d’avoir de bonnes notes
s’il voulait aller regarder mes combats. C’est pourquoi il étudiait bien à
l’école. Il m’a confié que c’est grâce à moi qu’il a réussi ses études. Un
jour, Boy Kaïré avait amené son homonyme (le père de Diène Kaïré) pour qu’il
surveille nos habits. Lors de nos entraînements à la plage de Kussum, on nous les
volait souvent. Et Boy Kaïré (le père de Diène) a pris goût à la lutte. Mais son
père ne voulait pas qu’il devienne lutteur. Il l’a alors transféré à
Tambacounda puis il est revenu. Il était petit mais coriace. Son homonyme a
finalement négocié un combat pour lui. Et Kamal Salémé lui a dit que si le
gosse se blesse, il va l’envoyer en prison. Finalement, il a battu son
adversaire. Et aujourd’hui, il a un fils (Diène Kaïré) qui est dans l’arène.
Quand
feu Yérim Diakhaté a démarché un combat pour moi et que l’écurie n’était pas
d’accord, Maguette Diop, Kamal Salémé et Nabil Ayaz avaient décidé d’exclure
Yérim Diakhaté. Il y avait 40 personnes lors de cette rencontre. Je leur ai dit
si vous l’excluez, je pars avec lui. Ils m’ont répondu que je ne suis pas exclu
parce que c’est Yérim qui a démarché le combat. Et je leur ai rétorqué qu’il l’a
démarché pour moi. Ils ont insisté et je suis parti avec Yérim Diakhaté, qui a
créé par la suite l’écurie Plateau. À cette époque, j’avais une popularité
(bayré, en wolof) extraordinaire. Quelques lutteurs de l’écurie Mermoz nous ont
finalement rejoints. Et Kamal leur a dit que quiconque s’entraîne avec Forman
va être renvoyé. Mais, ne pouvant pas subvenir aux besoins des lutteurs, nous
sommes retournés à l’écurie Mermoz.
Feu
El Hadji Moustapha Ndiaye de la RTS m’a dit un jour : «Le Président Abdou Diouf
m’a demandé de montrer toujours vos bakk les samedis après-midi. Car tu es son
lutteur.» Je voulais le (Abdou Diouf) rencontrer par la suite, en vain. La
lutte nous a permis de rencontrer différentes autorités et personnalités, que
ce soit dans notre pays ou à l’extérieur. Dans notre ville, il y a le président
Cora Fall que nous avons accompagné un peu partout. Je faisais partie de ses
gardes du corps. Il est généreux. Mais je n’ai pas suffisamment profité de ses
largesses.»
Vœux
«Je
veux que mes enfants m’assistent comme j’ai eu à le faire avec mes parents.
J’ai deux formidables épouses. Et je souhaite vivre avec elles le plus
longuement possible. J’ai aussi de bons frères et sœurs, qui veillent sur moi.
Tout ce que j’ai perdu dans la lutte, j’aimerais que les lutteurs de Lébougui
me le retournent. J’ai égaré mon argent entre Dakar et Rufisque. Et je souhaite
que mes protégés le ramassent et me le rendent. Je demande aux lutteurs de
Lébougui de ne pas oublier Pape Ibra Yade (Papa Yada). Il mérite que les
lutteurs lui donnent des homonymes. Parce qu’il les a tous créés. Leur renommée
dans l’arène, c’est grâce à Pape Ibra Yade.»
Plus
gros cachet
«Mon
plus gros cachet était de 800.000 FCFA. C’était en 1985. Je pense que c’était
une somme importante à l’époque. Mais la lutte n’était pas un métier pour nous.
On ne pouvait pas imaginer vivre avec les dividendes de la lutte. Toute juste à
côté de nous (Cité Gabon et ses environs), les terrains ne se vendaient pas. On
les distribuait gratuitement. Si à l’époque on avait la mentalité des jeunes d’aujourd’hui,
on aurait pu avoir des dizaines de maisons. Mais ainsi va la vie. Que nos enfants
ne soient pas en colère contre nous. Même après, les terrains se vendaient à
50.000 FCFA puis 200.000 FCFA. Mais ce n’était pas facile de rassembler cette
somme. Comme on dit en wolof, «sou
seugueu yombé, fore diafé».
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