mercredi 8 mai 2019

Rugby : Me Guédel Ndiaye, président FSR


«Que le ministère des Sports respecte ses engagements»
Me Guédel Ndiaye, président de la FSR

Les performances de sélections sur le plan continental ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Car, la Fédération sénégalaise de Rugby est dans une précarité financière. Le président Me Guédel Ndiaye tire la sonnette d’alarme et appelle le ministère des Sports au respect de ses engagements. Sans quoi, croit-il, beaucoup de disciplines qui font honneur à notre pays vont disparaître dans un avenir proche.
Entretien.
Vous avez été reconduit au sein du Comité exécutif de Rugby Afrique avec 18 voix sur 27 électeurs lors de l’Assemblée générale en mars dernier. Quelle appréciation en faites-vous ?
Je mentirais si je vous disais que je ne suis pas fier de cette confiance que m’ont manifestée mes pairs africains. Ce n’était pas joué d’avance. Le président de la Fédération du Kenya, Me Richard Omwela, avait dernièrement montré son hostilité vis-à-vis d’une élection qui consacrerait un francophone à la tête de l’instance. Allant même jusqu’à menacer de retirer le Kenya de la Confédération africaine… Comme je soutenais le francophone, (le Tunisien Khaled Babbou) qui l’a finalement emporté, j’ai craint un instant que certains de mes pairs anglophones ne se détournent de moi au profit d’autres anglophones, candidats eux aussi au Comité exécutif. Mais j’ai finalement été élu, et j’en suis heureux.
Est-ce à dire que le président de la Fédération du Kenya n’est pas satisfait du bilan de Bougja ?
Globalement, tous les responsables du rugby africain sont contents du bilan de l’ex-président de Rugby Afrique, Abdel Aziz Bougja. Il a abattu un travail considérable. Grâce à lui, la discipline est devenue crédible en Afrique et même dans le monde. Même si sur le plan sportif, nous sommes encore loin de l’élite mondiale. Mais petit à petit, l’oiseau fait son nid et, à l’instar du football et du basketball, un jour viendra où certaines nations africaines joueront dans la cour des grands. Pour en revenir au président du Kenya, sans doute ambitionnait-il de postuler au poste de président de Rugby Afrique à un moment donné. Car, il est lui aussi un grand dirigeant, qui a amené son pays au sommet du rugby à 7 : le Kenya a figuré dans le Top 5 du rugby à 7 mondial (rugby olympique) et se trouve toujours dans l’élite mondiale.
Vous êtes chargé des compétitions. Quel est le challenge ?
Il y a un grand défi à relever. Hélas, j’ai un peu les mains liées par la trésorerie de Rugby Afrique. Un de nos partenaires principaux, la société de télévision kenyane, Kwese Sports, vient de nous faire faux bond. Elle n’a pas renouvelé le contrat et doit 400.000 US dollars environ (234 millions FCFA environ) à Rugby Afrique. C’est cet argent qui nous manque aujourd’hui. Il est ainsi difficile de pouvoir programmer toutes les compétitions que nous avions prévues. Sans doute, nous allons faire un arbitrage, opérer une sélection.
Le président sortant Abdel Aziz Bougja a rehaussé le budget, qui est passé de 46 millions à 1,7 milliard FCFA. Est-ce un lourd héritage pour son successeur, le Tunisien Khaled Babbou ?
Le budget a été rehaussé depuis un certain temps déjà, ce qui nous a permis de programmer tous les matchs des différentes compétitions. C’est différent aujourd’hui en raison de la défection d’un de nos plus gros sponsors. Alors, l’héritage du nouveau président est lourd, puisqu’il va devoir, avec son équipe, trouver l’argent qui manque à la Confédération.
Vice-champions de la Zone Nord, les Lionceaux (U20) ont disputé la CAN 2019 (1er au 08 avril), qualificative au Mondial prévu au mois d’août prochain au Brésil. C’est réconfortant de voir le Sénégal parmi les 4 meilleurs pays d’Afrique et même sur le podium ?
Effectivement, c’est très réconfortant. Depuis des années, nous misons sur les jeunes et voilà que nos U20, tous formés au Sénégal, ont réussi à atteindre un tel niveau. Cette année, la Coupe d’Afrique (Trophée Jean-Luc Barthes) a concerné 16 équipes (sans Afrique du Sud), mais seules les 4 équipes du groupe A étaient en lice pour la qualification au Championnat du monde. Le Sénégal fait partie de ce groupe A avec le Kenya, la Namibie et la Tunisie. Nous étions opposés à ce qui se fait de mieux en Afrique. Nous avons donc coiffé au poteau des équipes comme le Kenya, le Zimbabwe, le Madagascar, pour figurer à ce niveau et c’est déjà une grande fierté. Le tournoi qualificatif du début du mois à Nairobi s’est bien passé. Certes, nous avons été battus par la Namibie, mais nous avons battu la Tunisie pour la 3ème place. C’est important, car nous n’avions jamais battu la Tunisie chez les U20. Nous prenons la 3ème place africaine derrière les deux grandes nations que sont le Kenya (1ème) et la Namibie (2ème). Notre objectif est donc atteint, car nos adversaires étaient mieux armés que nous et surtout plus aguerris pour avoir déjà évolué au plus haut niveau de la catégorie. Notre équipe était la plus jeune. Une majorité de la sélection que nous avions l’année dernière est montée d’un cran, pour avoir désormais plus de 20 ans. Placer nos juniors sur le podium est, pour nous, une grande fierté d’autant plus grande que nous ne le devons à personne d’autre qu’à nous-mêmes !
Que voulez-vous dire ?
Je veux dire que nous n’avons rien reçu du ministère des Sports, ni pour la préparation, ni pour le transport, ni pour les équipements… Rien ! Pas un seul franc. Mais le premier conseiller de notre ambassade au Kenya a assisté à tout le tournoi. Il était aussi fier de notre performance, de l’engouement qu’a suscité notre équipe, qui était la plus populaire après le Kenya.
La sélection des seniors, après avoir évolué en Gold Cup il y a 2 ans, est désormais en Silver Cup (groupe B de la D1). Peut-on s’attendre à une promotion des locaux en compétitions africaines, dans la mesure où la Fédération n’a pas les moyens nécessaires pour la prise en charge des expatriés ?
C’est vrai que la plupart de nos internationaux «élite» sont presque tous des expatriés. Mais il faut souligner que parmi eux, il y a 7 joueurs qui ont grandi à Dakar et qui ont fait leurs preuves au Sénégal. Ils ont commencé à jouer en équipe nationale quand ils étaient là. C’est après qu’ils ont été pris par des clubs français. Ce sont donc des joueurs que nous avons formés. Mais la majorité de la sélection est composée de joueurs ayant grandi en France. Cela encourage nos locaux à travailler et devenir plus performants. Mais il sera difficile pour eux de détrôner les expatriés, qui évoluent dans des Championnats plus structurés, plus étoffés, avec un entraînement approprié avec à la clé : musculation, diététique…
Quel objectif sera fixé aux seniors pour la Silver Cup prévue en juin ?
La Silver Cup sera en principe annulée au profit d’une autre compétition que Rugby Afrique va dévoiler à la fin de ce mois. Nos seniors seront greffés au tournoi du Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc), à moins d’intégrer le tournoi d’Afrique de l’Ouest avec la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria. Nous serons fixés dans quelques jours.
Les Lionnes vont-elles participer à une compétition continentale cette année ?
Oui. Je m’y suis engagé personnellement et je tiendrai ma promesse. Mais le lieu de la compétition (Tunisie est annoncée) ni la période (novembre en principe) n’ont été officialisés par Rugby Afrique. Mais une chose est sûre, nos Lionnes joueront la Coupe d’Afrique Sevens (rugby à 7).
Dans les compétitions locales, une équipe comme Yeumbeul n’a pas participé au Championnat, faute de moyens. N’est-il pas temps de mettre en place un système de motivation des clubs, en octroyant une récompense financière aux vainqueurs ?
C’est une question récurrente au niveau de notre Fédération. Beaucoup de responsables de club la posent et souhaitent que les vainqueurs des Championnats à XV et à 7 ainsi que de la Coupe nationale soient gratifiés d’une enveloppe financière. Nous rêvons de cela. Mais avec quel argent ? Votre question me permet de rebondir sur une de vos précédentes interrogations quand vous évoquiez le fait que nous n’ayons pas les moyens financiers pour faire venir nos expatriés. La saison dernière, nous avons participé à tous les tournois internationaux : rugby à 15 et 7 chez les hommes, rugby à 7 chez les femmes, rugby à 15 chez les U20. Et c’était en Afrique du Sud, en Tunisie et en France...
Vous insinuez que l’État ne vous soutient pas…
Après l’arbitrage budgétaire fait par le ministère des Sports et le CNOSS, il avait été convenu que nous serions soutenus pour deux compétitions seulement, à savoir la Coupe d’Afrique hommes, en rugby à 15 et nos dames en rugby à 7... En contrepartie, nous nous étions engagés à participer à toutes les autres compétitions citées plus haut. Nous avons respecté nos engagements en étant présents sur tous les tableaux. Mais à ce jour, plus de 5 mois après la fin de la saison 2017-2018, l’État ne nous a pas encore remboursés le moindre franc, en dépit du budget qui nous est alloué par le ministère. Le règlement des sommes, qui nous sont dues, est sans cesse remis à demain. Ce qui entraîne un énorme découragement chez nos adeptes et nos dirigeants. Nous n’avons donc perçu aucun franc de l’argent promis la saison dernière. Nos U20 viennent de monter sur le podium africain, au Kenya, sans avoir reçu le moindre soutien de l’État pour la préparation et la compétition.
Qu’est-ce qui explique cela ?
Certes, nous sommes une petite Fédération et nous en avons conscience, mais nous n’avons pas la prétention de recevoir la même chose que le football, le basketball ou le handball. Ces Fédérations le méritent, mais nous souhaitons que ce qui nous a été promis par l’État nous revienne, ce qui est légitime. Comment voulez-vous donc qu’avec le déficit dans lequel se trouve la trésorerie de notre Fédération, nous soyons en mesure de récompenser les clubs vainqueurs de nos compétitions nationales ?
Comment parvenez-vous à financer vos activités ?
(Il répète la question). On se bat, on court partout, on tape à toutes les portes. D’abord, au niveau des instances internationales que sont World Rugby, Rugby Afrique, des Fédérations amies, des sponsors fidèles, des mécènes locaux et parfois étrangers… C’est dur et épuisant. Nous serons soulagés quand l’État va donner ce qu’il nous doit.
Et si l’État ne fait rien ?
On avisera, mais nous ne pourrons plus tenir longtemps.
Pourriez-vous envisager de renoncer aux compétitions internationales ?
Tout est envisageable y compris, bien sûr, un forfait général de toutes les compétitions internationales pour lesquelles nous sommes qualifiés. Mais j’espère que nous n’en arriverons pas là et que le ministère des Sports aura à cœur de respecter les engagements qu’il a pris à notre niveau. Et nous ne sommes pas la seule Fédération à souffrir de cela.

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