«Que le ministère des Sports respecte ses engagements»
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Me Guédel Ndiaye, président de la FSR |
Les performances de
sélections sur le plan continental ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Car,
la Fédération sénégalaise de Rugby est dans une précarité financière. Le
président Me Guédel Ndiaye tire la sonnette d’alarme et appelle le ministère
des Sports au respect de ses engagements. Sans quoi, croit-il, beaucoup de
disciplines qui font honneur à notre pays vont disparaître dans un avenir
proche.
Entretien.
Vous avez été
reconduit au sein du Comité exécutif de Rugby Afrique avec 18 voix sur 27
électeurs lors de l’Assemblée générale en mars dernier. Quelle appréciation en
faites-vous ?
Je
mentirais si je vous disais que je ne suis pas fier de cette confiance que
m’ont manifestée mes pairs africains. Ce n’était pas joué d’avance. Le président
de la Fédération du Kenya, Me Richard Omwela, avait dernièrement montré son
hostilité vis-à-vis d’une élection qui consacrerait un francophone à la tête de
l’instance. Allant même jusqu’à menacer de retirer le Kenya de la Confédération
africaine… Comme je soutenais le francophone, (le Tunisien Khaled Babbou) qui
l’a finalement emporté, j’ai craint un instant que certains de mes pairs
anglophones ne se détournent de moi au profit d’autres anglophones, candidats
eux aussi au Comité exécutif. Mais j’ai finalement été élu, et j’en suis
heureux.
Est-ce à dire que
le président de la Fédération du Kenya n’est pas satisfait du bilan de Bougja ?
Globalement,
tous les responsables du rugby africain sont contents du bilan de l’ex-président
de Rugby Afrique, Abdel Aziz Bougja. Il a abattu un travail considérable. Grâce
à lui, la discipline est devenue crédible en Afrique et même dans le monde.
Même si sur le plan sportif, nous sommes encore loin de l’élite mondiale. Mais
petit à petit, l’oiseau fait son nid et, à l’instar du football et du
basketball, un jour viendra où certaines nations africaines joueront dans la
cour des grands. Pour en revenir au président du Kenya, sans doute ambitionnait-il
de postuler au poste de président de Rugby Afrique à un moment donné. Car, il
est lui aussi un grand dirigeant, qui a amené son pays au sommet du rugby à 7 :
le Kenya a figuré dans le Top 5 du rugby à 7 mondial (rugby olympique) et se
trouve toujours dans l’élite mondiale.
Vous êtes chargé
des compétitions. Quel est le challenge ?
Il
y a un grand défi à relever. Hélas, j’ai un peu les mains liées par la
trésorerie de Rugby Afrique. Un de nos partenaires principaux, la société de
télévision kenyane, Kwese Sports,
vient de nous faire faux bond. Elle n’a pas renouvelé le contrat et doit
400.000 US dollars environ (234 millions FCFA environ) à Rugby Afrique. C’est
cet argent qui nous manque aujourd’hui. Il est ainsi difficile de pouvoir
programmer toutes les compétitions que nous avions prévues. Sans doute, nous
allons faire un arbitrage, opérer une sélection.
Le président
sortant Abdel Aziz Bougja a rehaussé le budget, qui est passé de 46 millions à
1,7 milliard FCFA. Est-ce un lourd héritage pour son successeur, le Tunisien
Khaled Babbou ?
Le
budget a été rehaussé depuis un certain temps déjà, ce qui nous a permis de
programmer tous les matchs des différentes compétitions. C’est différent
aujourd’hui en raison de la défection d’un de nos plus gros sponsors. Alors,
l’héritage du nouveau président est lourd, puisqu’il va devoir, avec son
équipe, trouver l’argent qui manque à la Confédération.
Vice-champions de
la Zone Nord, les Lionceaux (U20) ont disputé la CAN 2019 (1er au 08
avril), qualificative au Mondial prévu au mois d’août prochain au Brésil. C’est
réconfortant de voir le Sénégal parmi les 4 meilleurs pays d’Afrique et même
sur le podium ?
Effectivement,
c’est très réconfortant. Depuis des années, nous misons sur les jeunes et voilà
que nos U20, tous formés au Sénégal, ont réussi à atteindre un tel niveau.
Cette année, la Coupe d’Afrique (Trophée Jean-Luc Barthes) a concerné 16
équipes (sans Afrique du Sud), mais seules les 4 équipes du groupe A étaient en
lice pour la qualification au Championnat du monde. Le Sénégal fait partie de
ce groupe A avec le Kenya, la Namibie et la Tunisie. Nous étions opposés à ce
qui se fait de mieux en Afrique. Nous avons donc coiffé au poteau des équipes
comme le Kenya, le Zimbabwe, le Madagascar, pour figurer à ce niveau et c’est
déjà une grande fierté. Le tournoi qualificatif du début du mois à Nairobi
s’est bien passé. Certes, nous avons été battus par la Namibie, mais nous avons
battu la Tunisie pour la 3ème place. C’est important, car nous
n’avions jamais battu la Tunisie chez les U20. Nous prenons la 3ème
place africaine derrière les deux grandes nations que sont le Kenya (1ème)
et la Namibie (2ème). Notre objectif est donc atteint, car nos
adversaires étaient mieux armés que nous et surtout plus aguerris pour avoir
déjà évolué au plus haut niveau de la catégorie. Notre équipe était la plus
jeune. Une majorité de la sélection que nous avions l’année dernière est montée
d’un cran, pour avoir désormais plus de 20 ans. Placer nos juniors sur le
podium est, pour nous, une grande fierté d’autant plus grande que nous ne le
devons à personne d’autre qu’à nous-mêmes !
Que voulez-vous
dire ?
Je
veux dire que nous n’avons rien reçu du ministère des Sports, ni pour la
préparation, ni pour le transport, ni pour les équipements… Rien ! Pas un seul
franc. Mais le premier conseiller de notre ambassade au Kenya a assisté à tout
le tournoi. Il était aussi fier de notre performance, de l’engouement qu’a
suscité notre équipe, qui était la plus populaire après le Kenya.
La sélection des seniors, après avoir
évolué en Gold Cup il y a 2 ans, est désormais en Silver Cup (groupe B de la
D1). Peut-on s’attendre à une promotion des locaux en compétitions africaines,
dans la mesure où la Fédération n’a pas les moyens nécessaires pour la prise en
charge des expatriés ?
C’est vrai que la plupart de nos
internationaux «élite» sont presque tous des expatriés. Mais il faut souligner
que parmi eux, il y a 7 joueurs qui ont grandi à Dakar et qui ont fait leurs
preuves au Sénégal. Ils ont commencé à jouer en équipe nationale quand ils
étaient là. C’est après qu’ils ont été pris par des clubs français. Ce sont
donc des joueurs que nous avons formés. Mais la majorité de la sélection est
composée de joueurs ayant grandi en France. Cela encourage nos locaux à
travailler et devenir plus performants. Mais il sera difficile pour eux de
détrôner les expatriés, qui évoluent dans des Championnats plus structurés,
plus étoffés, avec un entraînement approprié avec à la clé : musculation,
diététique…
Quel objectif sera fixé aux seniors
pour la Silver Cup prévue en juin ?
La Silver Cup sera en principe annulée
au profit d’une autre compétition que Rugby Afrique va dévoiler à la fin de ce
mois. Nos seniors seront greffés au tournoi du Maghreb (Algérie, Tunisie,
Maroc), à moins d’intégrer le tournoi d’Afrique de l’Ouest avec la Côte
d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria. Nous serons fixés dans quelques jours.
Les Lionnes vont-elles participer à une
compétition continentale cette année ?
Oui. Je m’y suis engagé personnellement
et je tiendrai ma promesse. Mais le lieu de la compétition (Tunisie est
annoncée) ni la période (novembre en principe) n’ont été officialisés par Rugby
Afrique. Mais une chose est sûre, nos Lionnes joueront la Coupe d’Afrique
Sevens (rugby à 7).
Dans les compétitions locales, une
équipe comme Yeumbeul n’a pas participé au Championnat, faute de moyens.
N’est-il pas temps de mettre en place un système de motivation des clubs, en
octroyant une récompense financière aux vainqueurs ?
C’est
une question récurrente au niveau de notre Fédération. Beaucoup de responsables
de club la posent et souhaitent que les vainqueurs des Championnats à XV et à 7
ainsi que de la Coupe nationale soient gratifiés d’une enveloppe financière.
Nous rêvons de cela. Mais avec quel argent ? Votre question me permet de
rebondir sur une de vos précédentes interrogations quand vous évoquiez le fait
que nous n’ayons pas les moyens financiers pour faire venir nos expatriés. La
saison dernière, nous avons participé à tous les tournois internationaux :
rugby à 15 et 7 chez les hommes, rugby à 7 chez les femmes, rugby à 15 chez les
U20. Et c’était en Afrique du Sud, en Tunisie et en France...
Vous insinuez que
l’État ne vous soutient pas…
Après
l’arbitrage budgétaire fait par le ministère des Sports et le CNOSS, il avait
été convenu que nous serions soutenus pour deux compétitions seulement, à
savoir la Coupe d’Afrique hommes, en rugby à 15 et nos dames en rugby à 7... En
contrepartie, nous nous étions engagés à participer à toutes les autres
compétitions citées plus haut. Nous avons respecté nos engagements en étant
présents sur tous les tableaux. Mais à ce jour, plus de 5 mois après la fin de
la saison 2017-2018, l’État ne nous a pas encore remboursés le moindre franc,
en dépit du budget qui nous est alloué par le ministère. Le règlement des
sommes, qui nous sont dues, est sans cesse remis à demain. Ce qui entraîne un
énorme découragement chez nos adeptes et nos dirigeants. Nous n’avons donc
perçu aucun franc de l’argent promis la saison dernière. Nos U20 viennent de
monter sur le podium africain, au Kenya, sans avoir reçu le moindre soutien de
l’État pour la préparation et la compétition.
Qu’est-ce qui
explique cela ?
Certes,
nous sommes une petite Fédération et nous en avons conscience, mais nous
n’avons pas la prétention de recevoir la même chose que le football, le
basketball ou le handball. Ces Fédérations le méritent, mais nous souhaitons
que ce qui nous a été promis par l’État nous revienne, ce qui est légitime.
Comment voulez-vous donc qu’avec le déficit dans lequel se trouve la trésorerie
de notre Fédération, nous soyons en mesure de récompenser les clubs vainqueurs
de nos compétitions nationales ?
Comment parvenez-vous à financer vos
activités ?
(Il répète la question).
On se bat, on court partout, on tape à toutes les portes. D’abord, au niveau
des instances internationales que sont World Rugby, Rugby Afrique, des
Fédérations amies, des sponsors fidèles, des mécènes locaux et parfois étrangers…
C’est dur et épuisant. Nous serons soulagés quand l’État va donner ce qu’il
nous doit.
Et si l’État ne fait rien ?
On avisera, mais nous ne pourrons plus
tenir longtemps.
Pourriez-vous envisager de renoncer aux compétitions
internationales ?
Tout est envisageable y compris, bien
sûr, un forfait général de toutes les compétitions internationales pour
lesquelles nous sommes qualifiés. Mais j’espère que nous n’en arriverons pas là
et que le ministère des Sports aura à cœur de respecter les engagements qu’il a
pris à notre niveau. Et nous ne sommes pas la seule Fédération à souffrir de
cela.